Dans cette scène Gengo Hara exige un Hara-Kiri, comportement qui fait réagir violemment Lawrence (« vous voulez me faire haïr les
japonais ») qui menace de couper les
ponts. Ainsi nous est montrée la divergence dont nous parlions au sujet de l'interprétation des valeurs : pour le japonais, il s'agit, suite à une faute, de rétablir son propre honneur par le suicide tandis que, pour l'anglais, il s'agit au contraire de vivre avec ses fautes pour s'en repentir.
Un autre personnage principal est introduit. Il s'agit de Yonoi, présenté en costume traditionnel : il est un parangon de
la vie éthique pour un japonais, entendue comme la manière dont un japonais, pour un japonais, doit se comporter moralement.
Lawrence hausse le ton et
mime la manière japonaise de parler : il s'adapte à la
situation pour se faire comprendre, il sait utiliser les manières de parler de l'autre culture et les employer à propos. Il parlait jusqu'alors à Hara d'une
manière moins conventionnelle, mais avec l'épisode du hara-kiri il a réajusté immédiatement son langage.
Si Hara a fait un écart
vis à vis du règlement et n'a pas averti son supérieur, c'est en
référence à un autre code plus fondamental : le code du
bushido. Or, ce code est moins formalisé, il repose sur
les principes plus que sur les procédures. Hara est donc capable de
juger des règles d'après les principes.
→ une première idée consiste à dire que c'est un moyen proposé par le film pour régler les conflits moraux de manière éthiques. En effet, nous allons voir juste après, comme annoncé précédemment, que la différence porte sur la divergence des interprétations d'un
même principe (cas du suicide par rapport à l'honneur).
Yonoi accepte
temporairement la réponse mais demande des justifications. Yonoi
est en mesure d'accepter de juger d'après des principes et
d'outrepasser la rigidité du règlement, signe de sa capacité à se comporter de manière éthique, de prendre une certaine distance vis-à-vis de la déontologie dont on attend de lui qui l'applique rigoureusement.
En regardant le
souffrant, Yonoi plisse les yeux, et laisse son visage se déformer :
il n'est pas indifférent à la souffrance d'autrui, il semble avoir,
derrière les apparences que lui prête sa position, une certaine empathie. Par la même occasion, nous pouvons penser qu'il porte un masque, lui qui se force à parler sèchement et à se tenir droit comme la justice, et qu'il a la
faiblesse (ou la force?) d'être émotif.
Arrivée au tribunal
Sur le trajet du tribunal
en Jeep : sur le bord, un marché où l'on voit tout le monde de
dos. Derrière, l'institution (tribunal). Les gens vendent de la
nourriture, des aliments pour le corps → on ne voit pas leurs visages. Le
visage exprime les émotions, or, on peut imaginer que l'on refuse, chez les japonais (du moins dans le film), les émotions que
pourrait produire le fait de s'alimenter. On mange pour se nourrir,
pas pour prendre plaisir, d'où la censure des émotions qui
pourraient résulter de l'acte alimentaire, en ne montrant pas les
visages.
Arrivée au tribunal,
gros plan en traveling arrière sur Yonoi, après un traveling en
arc de cercle : il regarde au fond du couloir avant d'y pénétrer, il se met en condition, il veut contrôler la situation. Il resserre les lèvres, se crispe : il campe son masque. Il ne faut pas que son
corps parlent à l'insu de son esprit. On peut dire qu'il entre dans
le rôle que son environnement social attend.
Over the shoulder shot
sur son entrée dans la salle : il s'agit pour Yonoi de réussir
une entrée conformément à la procédure, à bien "jouer" le rôle qu'il occupe.
Contraste entre les deux virages à 90° de Yonoï dans deux situations différentes:
Il y a un ventilateur dans la pièce : le cerveau, lieu où la raison a élu domicile, est constamment en surchauffe chez les japonais, on retrouvera d'ailleurs ce ventilateur à plusieurs reprises, et de la fumée semblera même s'échapper de la tête de Yonoï vers la fin du film.
Au cours de la discussion, les corps sont immobiles, les mouvements nécessaires et uniformes : un mouvement de
caméra rapide et direct accompagne le mouvement de Yonoi quand il change
d'interlocuteur. Ce mouvement en public tranche avec celui dans le
couloir, en coulisse, où il s'agissait d'atteindre un résultat
similaire (changement de direction à 90 degrés). Il n'avait pas
saluer les autres protagonistes dès son entrée, avant qu'on les lui
présente: il ne doit voir que ce qui est nécessaire à chaque étape de la
procédure.
D'un côté le thé, de
l'autre le cendrier. Au milieu, la boite à cigarette. Il se voit
proposer une cigarette, peut être pour vérifier sa loyauté, s'il
n'a pas été corrompu par l'occident: son choix entre la tradition
("thé" est un des premiers kanji que les enfants japonais apprennent) et la cigarette, nouvelle mode de l'époque en
provenance de l'occident, et symbole de consommation inutile. Plus tard dans le film, Yonoï se mettra à fumer de cette manière. Faire le lien entre le refus de la cigarette à ce stade et son acceptation à la fin du film peut être lu symboliquement comme un signe de la transformation éthique du personnage, comme si celui-ci s'était ouvert culturellement (ici par l'intermédiaire de l'incorporation d'une pratique sociale d'une autre société).