samedi 15 décembre 2012

2. Hara-kiri

Dans cette scène Gengo Hara exige un Hara-Kiri, comportement qui fait réagir violemment Lawrence (« vous voulez me faire haïr les japonais ») qui menace de couper les ponts. Ainsi nous est montrée la divergence dont nous parlions au sujet de l'interprétation des valeurs : pour le japonais, il s'agit, suite à une faute, de rétablir son propre honneur par le suicide tandis que, pour l'anglais, il s'agit au contraire de vivre avec ses fautes pour s'en repentir.

Un autre personnage principal est introduit. Il s'agit de Yonoi, présenté en costume traditionnel : il est un parangon de la vie éthique pour un japonais, entendue comme la manière dont un japonais, pour un japonais, doit se comporter moralement.

Lawrence hausse le ton et mime la manière japonaise de parler : il s'adapte à la situation pour se faire comprendre, il sait utiliser les manières de parler de l'autre culture et les employer à propos. Il parlait jusqu'alors à Hara d'une manière moins conventionnelle, mais avec l'épisode du hara-kiri il a réajusté immédiatement son langage. 

Si Hara a fait un écart vis à vis du règlement et n'a pas averti son supérieur, c'est en référence à un autre code plus fondamental : le code du bushido. Or, ce code est moins formalisé, il repose sur les principes plus que sur les procédures. Hara est donc capable de juger des règles d'après les principes.

→ une première idée consiste à dire que c'est un moyen proposé par le film pour régler les conflits moraux de manière éthiques. En effet, nous allons voir juste après, comme annoncé précédemment, que la différence porte sur la divergence des interprétations d'un même principe (cas du suicide par rapport à l'honneur).

Yonoi accepte temporairement la réponse mais demande des justifications. Yonoi est en mesure d'accepter de juger d'après des principes et d'outrepasser la rigidité du règlement, signe de sa capacité à se comporter de manière éthique, de prendre une certaine distance vis-à-vis de la déontologie dont on attend de lui qui l'applique rigoureusement.

En regardant le souffrant, Yonoi plisse les yeux, et laisse son visage se déformer : il n'est pas indifférent à la souffrance d'autrui, il semble avoir, derrière les apparences que lui prête sa position, une certaine empathie. Par la même occasion, nous pouvons penser qu'il porte un masque, lui qui se force à parler sèchement et à se tenir droit comme la justice, et qu'il a la faiblesse (ou la force?) d'être émotif.

Arrivée au tribunal

Sur le trajet du tribunal en Jeep : sur le bord, un marché où l'on voit tout le monde de dos. Derrière, l'institution (tribunal). Les gens vendent de la nourriture, des aliments pour le corps → on ne voit pas leurs visages. Le visage exprime les émotions, or, on peut imaginer que l'on refuse, chez les japonais (du moins dans le film), les émotions que pourrait produire le fait de s'alimenter. On mange pour se nourrir, pas pour prendre plaisir, d'où la censure des émotions qui pourraient résulter de l'acte alimentaire, en ne montrant pas les visages.

Arrivée au tribunal, gros plan en traveling arrière sur Yonoi, après un traveling en arc de cercle : il regarde au fond du couloir avant d'y pénétrer, il se met en condition, il veut contrôler la situation. Il resserre les lèvres, se crispe : il campe son masque. Il ne faut pas que son corps parlent à l'insu de son esprit. On peut dire qu'il entre dans le rôle que son environnement social attend. Over the shoulder shot sur son entrée dans la salle : il s'agit pour Yonoi de réussir une entrée conformément à la procédure, à bien "jouer" le rôle qu'il occupe.

Contraste entre les deux virages à 90° de Yonoï dans deux situations différentes:





Il y a un ventilateur dans la pièce : le cerveau, lieu où la raison a élu domicile, est constamment en surchauffe chez les japonais, on retrouvera d'ailleurs ce ventilateur à plusieurs reprises, et de la fumée semblera même s'échapper de la tête de Yonoï vers la fin du film.

Au cours de la discussion, les corps sont immobiles, les mouvements nécessaires et uniformes : un mouvement de caméra rapide et direct accompagne le mouvement de Yonoi quand il change d'interlocuteur. Ce mouvement en public tranche avec celui dans le couloir, en coulisse, où il s'agissait d'atteindre un résultat similaire (changement de direction à 90 degrés). Il n'avait pas saluer les autres protagonistes dès son entrée, avant qu'on les lui présente: il ne doit voir que ce qui est nécessaire à chaque étape de la procédure.

D'un côté le thé, de l'autre le cendrier. Au milieu, la boite à cigarette. Il se voit proposer une cigarette, peut être pour vérifier sa loyauté, s'il n'a pas été corrompu par l'occident: son choix entre la tradition ("thé" est un des premiers kanji que les enfants japonais apprennent) et la cigarette, nouvelle mode de l'époque en provenance de l'occident, et symbole de consommation inutile. Plus tard dans le film, Yonoï se mettra à fumer de cette manière. Faire le lien entre le refus de la cigarette à ce stade et son acceptation à la fin du film peut être lu symboliquement comme un signe de la transformation éthique du personnage, comme si celui-ci s'était ouvert culturellement (ici par l'intermédiaire de l'incorporation d'une pratique sociale d'une autre société).

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