La mise en scène au sens propre du passage se calque avec la mise en scène dont font preuve les japonais pour intimider les prisonniers anglais, ceci dans le but de les faire parler. Ainsi, les mouvements de caméra panoramiques qui filment le déploiement des soldats japonais reflètent l'ampleur des moyens mis en œuvre par ces derniers pour simuler la menace d'un massacre intégral. Ils sont appuyés par une musique instrumentale aux sonorités apocalyptiques (qui rappelle entre-autres celle de Terminator ou de la scène de fin de Full Metal Jacket) dont certaines distorsions miment le bruit de tirs.
Un over-the-shoulder-shot à partir de Yonoï qui somme Hicksley de venir le rejoindre montre par l'image-mouvement la distance qui sépare les deux hommes et symbolise en même temps le fait qu'ils sont loin de pouvoir se comprendre où même de pouvoir communiquer. En arrière plan, et donc derrière Hicksley, on aperçoit la quasi-intégralité des prisonniers. Cela peut montrer par l'image que c'est Hicksley qui en a la responsabilité mais également que leur destinée dépend de l'issue de la discussion qui va avoir lieu entre lui et l'officier japonais.
Le résultat de cette non-coopération entre un officier japonais qui applique les procédures à la lettre et un officier anglais qui ne cherche même pas à négocier (il est raisonnable de penser qu'il pourrait par exemple tenter de communiquer à l'ennemi des motifs raisonnables pour modifier ses décisions, ce que les japonais ont besoin pour peut-être adapter la règle) est un long passage où les éclopés viennent rejoindre laborieusement les autres. La grande durée de la marche associée à la faible distance à parcourir font que l'image-mouvement souligne d'une part l'absurdité des conséquences du désaccord par rapport à son mobile (pourquoi en effet vouloir menacer des soldats déjà à moitié morts, qui pourraient d'ailleurs vouloir cela pour se libérer de leurs souffrances) et d'autre part la cruauté des conséquences que peuvent avoir les conflits entre personnes de mauvaise foi (l'anglais qui refuse d'avancer des raisons du fait qu'il méprise son ennemi) et instrumentalisées (le japonais qui doit faire appliquer la loi coûte que coûte). Par extension, l'équipe du film peut vouloir figurer en même temps sa vision des conséquences des conflits idéologiques et de la totalitarisation entendue comme un contrôle complet de l'individu sous tous ses aspects même les plus intimes. Sa position est renforcée par le fait qu'elle clôture la séquence par le décès de l'un de ces prisonniers, ce qui laisse suggérer que cette forme de comportement mène subrepticement (par extrapolation) à la mort.
Le caractère absurde et scandaleux est redoublé par la juxtaposition de l'affirmation de Yonoi (celui-ci déplore avec emportement, d'après ses préjugés rationnels, que les soldats blessés simulent) et l'évidence de la souffrance qui succède et s'offre à ses yeux. Ainsi, le long et lent passage en revue des visages des soldats anglais en même temps souffrants et dignes (ce mélange dégageant une impression de sincérité) semble vouloir susciter chez le spectateur un sentiment d'aberration en mobilisant conjointement son jugement (en couplant méthodiquement des plans exprimant la position morale de Yonoï avec d'autres montrant la souffrance afin de présenter la situation de manière à suggérer un lien de cause à effet) et son pathos (par empathie face à la vision des blessés). L'implication éthique du spectateur est très forte : les blessés fixent pratiquement dans sa direction (juste à côté). Ils regardent sûrement Yonoï dans l'attente de sa réaction. Le spectateur par l'intermédiaire de l'endroit où est placée la caméra se retrouve comme si il figurait aux côtés de Yonoï, et donc comme si il collaborait avec lui. Le spectateur est alors interpellé et responsabilisé: « Même si vous n'agissait pas, vous avez toujours une position, et celle-ci ne peut jamais être neutre. Ne rien faire est déjà un choix éthique auquel vous ne pouvez pas échapper et qui implique des conséquences. » semble dire la séquence.
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| Les éclopés fixent Yonoï, situé juste à côté de la caméra, et donc de l'oeil du spectateur |
Yonoï, affecté, fait un choix éthique en quittant les lieux : il s'avoue temporairement vaincu et reconnaît l'échec de sa manœuvre (ce qui n'est pas une chose moindre quand on sait qu'il n'hésitait pas à justifier un sacrifice humain au nom de la conservation de l'ordre). Mais Hicksley lui lance un ultime affront en l'interpellant pour lui annoncer la mort d'un soldat. Hicksley montre ainsi qu'il impute l'entière responsabilité de ce décès à Yonoï, et qu'il n'estime pas lui-même avoir joué un rôle (par son refus catégorique de coopérer même sur des points non-essentiels du déroulement de la guerre et qui auraient améliorer les conditions de vie de ses camarades) dans cette mort : Hicksley est lui aussi aveuglé, d'une manière différente mais aussi forte.
Cette surenchère de la part d'Hicksley dénote son implication dans la succession tragique des événements. Pour montrer qu'il a pourtant eu une chance de faire le bon choix, on assiste à une scène qui commence par un passage identique presque en tout point à celle dont nous disions «qu'un over-the-shoulder shot à partir de Yonoï qui somme Hicksley de venir le rejoindre montre par l'image-mouvement la distance qui sépare les deux hommes et ainsi symbolise le fait qu'ils sont loin de pouvoir se comprendre.». La répétition de ce début scène associé à un déroulement différent montre qu'Hicksley n'a pas su gérer la situation de manière à protéger ses troupes, d'autant qu'entre temps Yonoï avait semblé s'être résigné, ce qui pointe encore du doigt la responsabilité d'Hicksley en ajoutant encore d'autres dominos à son effigie dans la chaine de causalité.
Hicksley se voit offert une ultime deuxième chance. La situation est encore plus critique, et à l'arrière-plan de tout à l'heure se trouvent ajoutés les éclopés et le récent défunt. Sa mort ne jouera pourtant pas un bien grand rôle car Hicksley, qui ne s'estime pas du tout responsable de ce qui arrive, maintiendra son entêtement : ceci constitue le point de non-retour tragique du film. Il se condamne en effet lui-même à mort : c'est un sacrifice sous prétexte d'intégrité. Hicksley a montré qu'il considérait que son comportement, pour être loyal envers sa patrie, devait être une application stricte du règlement (point commun qu'il partage dans une certaine mesure avec les japonais), autrement dit une attitude morale figée incompatible avec une adaptation éthique. Ainsi, alors que les japonais semblaient de prime abord rigides moralement, ils ont fait preuve de qualités éthiques tout au long du film, comme si ils étaient, dans le fond, plus éthiques que moraux. A l'opposé, les anglais, par l'intermédiaire d'Hicksley, qui étaient présentés comme éthiques (Hicksley a réagi à plusieurs reprises à la souffrance des blessés), ont montré qu'il étaient dans le fond encore plus dogmatiques moralement dans les situations critiques que leurs opposants.

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