mercredi 5 décembre 2012

12. Survenance et life-lesson

Nous approchons des 1h30 de film, soit le format standard des films mainstream. Nous pouvons imaginer une fin pessimiste imminente : résignation de Lawrence qui n'a plus de cartouches, confessions de Celliers qui s'effondre psychologiquement, Gengo Hara qui semble être retourné dans un dogmatisme encore plus profond qu'au début du film et Yonoï qui assume, après une période de doute, la totalité des injustices (menant jusqu'à la mort) du système auquel il participe.

Le réalisateur a préparé une sorte feinte de twist, celui-là même qui est inscrit dans le titre du film (« Merry Christmas Mr. Lawrence ») et qui était esquissé dès la musique du générique du film. A la manière dont celle-ci contrastait avec la pesanteur des pas de Lawrence qui cherchait à remédier au conflit par la voie de la raison, c'est avec la compréhension des symboles d'autrui que va venir le salut, chose qui ne peut se faire qu'avec la sensibilité, par communication empathique.

SCENE CHARNIERE DU FILM


En effet, sur fond de cette même musique, Gengo Hara montre qu'il s'est approprié l'esprit d'une fête occidentale : le père noël, et amnistie Lawrence en vertu de cet esprit. On sait par ailleurs que le père noël tel qu'il est fêté à cette époque est en quelque-sorte la conséquence d'une campagne de publicité de Coca-cola datant de la fin du siècle précédent, et donc que sa symbolique telle qu'elle est assimilée par Gengo Hara est celle d'une société occidentale contemporaine (et non-pas celle d'un éventuel noyau ancestral commun aux deux cultures). Dès lors, on peut penser que le film postule la communicabilité émotionnelle entre les cultures d'une part comme possible et d'autre part comme solution possible aux conflits.
Hara est placé au centre, installé derrière le bureau. À sa gauche, un sabre traditionnel, à sa droite une bouteille (probablement d'alcool puisqu'il avouera avoir été ivre un peu plus tard). Hara, en pleine transformation éthique depuis le début du film, fait la part des choses entre d'un côté les coutumes japonaises qui l'ont bercé dans l'ordre et la discipline, et de l'autre le culte dionysien, aspiration au divin propre au berceau occidental qui tend vers l'affranchissement et la suppression des interdits et des tabous, qui incite aux défoulements et à l'exubérance. On peut imaginer combien cette décision de sauver l'anglais pour les raisons avancées peut témoigner de cette exubérance au sein d'un ordre militaire japonais présenté comme très rigide depuis le début.

Dès lors, doit-on considérer cet épisode comme survenant par une sorte de miracle ou comme l'aboutissement d'une chaîne de causalité dont nous avons exprimé tout au long de notre description les maillons possibles? Il semblerait que ce soit un peu des deux, et chacun jugera de la pondération de l'un par rapport à l'autre.

Avant d'annoncer la bonne nouvelle, nous ne savons pas pourquoi Hara a convoqué les deux anglais. Le suspens est maintenu en filmant alternativement les deux anglais ensembles avec en contrechamp Hara qui laisse planer le doute en jouant avec le langage. Hara annonce la bonne nouvelle, une tomate rouge croquée à la main. En fond se déroule la musique du générique de début, quand Lawrence marchait sans grand espoir pour trouver un accord du côté des japonais. Les champs/contrechamps s'arrêtent et les personnages sont réunis à l'écran. Au tempo grave et lourd de cette musique était superposés des accords aigus qui laissaient peut-être entendre une voie différente et plus légère que celle empruntée par Lawrence. Le rappel de cette musique à ce moment précis peut vouloir nous indiquer que c'était ce genre de solutions qui allait être proposé par le film pour concilier des personnages aussi différents, solution ineffable (car basée sur une relation dialectique émotionnelle) qui nécessitait d'être montrée pour être démontrée, et dont le film semble s'être évertué à transmettre par l'image-mouvement.
Hara croque une tomate mûre
Un des plans suivants montre plusieurs tomates devant Hara : certaines vertes, d'autres un peu plus mûres. « (…) Dionysos, à considérer l'ensemble de son mythe, symbolise l'effort de spiritualisation de la créature vivante à partir de la plante jusqu'à l'extase » nous dit le Dictionnaire des symboles de J. Chevalier et A. Gheerbrant. En forçant un peu l'interprétation, on peut y voir une représentation symbolique de la maturation éthique et spirituelle de Hara.
Devant lui, des tomates à différents stades de maturation
La scène suivante se situe au même endroit. Yonoi remplace Hara dans la position du chair-man, ce dernier étant introduit dans le champ de la même façon et en même temps que les anglais. Comme eux, il est situé face à Yonoï qui se trouve de plus en plus isolé. Hara répond de ses acte et avoue qu'il a fait un choix éthique : il a décidé de lui-même d'annuler la condamnation à mort de Lawrence, du fait que le véritable coupable ait été démasqué. Or, la procédure lui réclamait d'en avertir son supérieur pour que ce soit lui qui en décide. Cette largesse avec la règle n'est pas anodine puisque l'on a vu plus tôt d'une part l'attachement rigoureux des japonais à appliquer la procédure (et ce même en cas d'injustice) et d'autre part l'importance que prend pour eux le dévouement et la subordination totale de leur propre personne à l'institution.

Le rôle protecteur de Hara envers les anglais est suggéré dès son apparition à l'écran : quand il ouvre la porte pour les faire entrer, il semble adopter un comportement d'éclaireur en scrutant d'abord l'intérieur de la pièce comme si il cherchait à prévenir ses hôtes d'éventuels dangers qui s'y trouveraient. Il leur fait signe d'entrer quand il semble estimer que la voie est libre.

De la fumée émane d'un petit récipient. Quand Yonoï est en gros plan, elle semble sortir de l'arrière de son crâne : le désordre entraîné par une raison qui a de plus en plus de mal à contrôler les instincts d'un corps qui lui échappe a enclenché une surchauffe du cerveau. Le monde phénoménal semble submerger le monde nouménal dans la personne de Yonoi. 

Mais si Yonoï peut accepter ce choix éthique, il doit rester ferme envers les anglais sur un point tout autre : celui d'exiger d'Hicksley qu'il coopère au sujet des agents spécialistes de l'armement. Malheureusement, celui-ci est toujours aussi hermétique et continue de réciter des morceaux de règlement, manifestant son refus. Ce genre d'attitude égocentrée, hermétique à toute façon de vivre selon des valeurs différentes (et qui est un reproche souvent adressé aux anglo-saxons), est montrée du doigt par le réalisateur qui en fera le point de non-retour tragique du film.

En coulisse, après que les anglais aient quitté la pièce, Yonoï montre son approbation envers la décision de Hara en lui offrant une cigarette. Il se met lui même à fumer une cigarette, chose qu'il refusait au début du film (juste avant le procès). Ce comportement peut être interprété comme l'adoption d'un habitus occidental puisqu'il semble, en plus d'être à l'époque une mode surtout occidentale (la cigarette), s'opposer au concept d'utilité sociale que prescrivent les conventions japonaises depuis le début du film. 

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