Simulacre sordide
Deux japonais entrent et ordonnent à Celliers de se lever. Suck eggs est écrit au mur et semble illustrer les pensées de Celliers.
Contre champs : au dessus d'un des deux japonais, il est écrit Fat Pig juste au dessus de la tête du japonais. La caméra est placée derrière Celliers, et le Fat Pig semble sortir de son crâne comme une bulle de BD. Le point qui relie FAT PIG au crâne de Celliers fait penser aux petites bulles servant à indiquer le contenu d'une pensée en Bande Dessinée.
Celliers fait mine de se raser. Il parle en direction du mur et simule une conversation. Il écrase son mégot fictif et son pied se dirige vers la brèche située en bas à gauche du cadre. Foreshadowing: il se dirige vers une situation dangereuse, où le sol peut s'écrouler sous ses pieds.
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| Foreshadowing: le pied de Celliers orienté vers la brèche dans le sol (et vers laquelle son pied va avancer) nous informe par une métaphore stylistique du danger qui le guette. |
Execution avortée de Celliers
Celliers revêt un bandeau blanc sur les yeux au moment de l'exécution pour ne pas que le peloton voit les yeux de Celliers quand il va mourir. On cherche, dans le camp japonais, à diminuer l'impact des émotions pour ne pas se laisser affecter par ce qui vient de la sensibilité.
Celliers est attaché bras en croix, comme Jesus : la poutre en bois sur laquelle sont fixés les anneaux rappelle la croix. Celui qui ordonne le tire ne regarde pas en direction de la victime. Ainsi, la responsabilité des acte est diluée entre les personnages et ceux-ci sont mis à distance de leurs actes.
Après le tir du peloton, zoom avant sur Celliers à partir du camp japonais et au travers d'une fumée blanche. Nous constatons qu'il est en vie simultanément avec l'apparition de Yonoi dans le champ. Il semble être le bon génie de Celliers et on peut deviner qu'il est à l'origine de la fin heureuse de cet épisode.
Scène suivante
Hara dort. Il est réveillé par Lawrence. Il a derrière lui un sabre (probablement de samourai) et à côté un chapeau de cowboy. Hara allume une cigarette. La cigarette est un conditionnement du tabac occidental. C'est à cette époque que le phénomène prend de l'ampleur : c'est une mode naissante. Hara montre son ouverture à la culture occidentale, il lui est perméable.
Deux branches de feuilles au dessus de Lawrence, situé entre un soldat asiatique (coréen ou japonais) et un soldat occidental (le hollandais) semblent former un pont entre les deux.
Hara a annonce avoir rêvé de Marlene Dietrich en Mandchouri. La Mandchourie est à l'époque l'avant-poste de l'occupation de la Chine par le Japon. Il constitue une frontière terrestre avec l'étranger. Hara semble en effet vouloir se rapprocher des étrangers, aller à leur rencontre.
Lawrence demande que le soldat occidental qui a eu des rapports homosexuels soit transféré, car ses camarades sont au courant. → Lawrence insinue que l'homosexualité est réprimée par les occidentaux. Or, nous avons vu tout à l'heure qu'elle l'était également du côté japonais. La répression de l'homosexualité semble être un point commun aux deux pays.
On peut aussi interpréter cela comme si le soi-disant « viol » du hollandais, dans le milieu sans femmes du camp de prisonnier, avait ouvert la voie à une reconfiguration des normes sexuées parmi les soldats anglais. En effet, il est sous-entendu par Lawrence et Hara que le soldat en question risque fort de se faire violer par ses camarades : il devient identifié par le groupe comme membre sexuellement dominé et, puisque Lawrence soutient qu' « ils ne sont pas pédés pour autant », comme personnage féminin de substitution pour les soldats. A ce sujet, voir notre commentaire "gender studies".
Un re-cadrage vient placer le milieu du cadre sur un rondin qui part du couvre-chef de Lawrence posé à terre, au milieu et en bas. Il isole le soldat qui a eu des rapports homosexuels des deux autres personnages. En même temps, un autre rondin placé perpendiculairement relie le soldat à Lawrence, accompagnant par l'image la camaraderie de Lawrence qui tente d'aider le soldat. Puis un second re-cadrage qui centre un mat blanc séparant Hara dans un habitat traditionnel de Lawrence qui est sur le pas de l'entrée. D'un côté, l'intérieur d'une habitation (espace agencé culturellement selon une certaine logique), de l'autre, l'extérieur, plus proche de la nature (des instincts, des émotions). Lawrence entre de l'extérieur sur le pas de l'entrée de l'habitation : il tente par ses efforts de concilier les deux mondes.
Hara essaie d'en savoir plus sur l'homosexualité du côté anglais. Il prétend que les anglais ont tous peur de l'homosexualité, ce qui n'est pas le cas des samouraïs. Effectivement, le shudo était autrefois valorisé et avait pour fonction de participer à l'éducation à la vertu des jeunes samouraïs. Il semblerait que Hara reproche plutôt aux anglais de dénaturer la pratique de l'homosexualité par rapport à celle qu'en faisait les samouraïs, car elle n'enseignerait pas la vertu. Lorsque Lawrence déclare que tous les soldats ne deviennent pas « pédés », Hara fait mine de lui lancer la cigarette au visage mais en décale la trajectoire. Il semble agacé que Lawrence utilise un trope péjoratif réduisant l'homosexualité à une perversion.
A ce stade, nous pouvons interpréter le rapport à l'homosexualité de Hara différemment. Lorsqu'il voulait condamner le coréen à se suicider, il semblerait que ce ne soit pas parce qu'il a eu des rapports homosexuels, mais précisément parce qu'il a eu ce type de rapport avec un ennemi. En effet, Hara a montré à plusieurs reprise son respect envers le Bushido, le code d'honneur des samouraïs. Celui-ci préconise le shudo, autrement dit les rapports homosexuels, mais entre les samouraïs d'un même camp, et dans un but pédagogique et vertueux. Ce que Hara condamne en voulant punir le coréen ayant eu des rapports homosexuels avec le hollandais, c'est d'avoir eu ce type de lien avec un ennemi, alors qu'il l'encouragerait s'il s'agissait d'une pratique entre soldats d'un même camp, conformément au shudo. La réponse de Lawrence sur la question de l'homosexualité énerve Hara, car elle est en opposition avec le bushido (Lawrence désigne les rapports homosexuels entre les soldats anglais comme des déviances symptomatiques de l'enfermement). Hara, quand on annonce l'arrivée d'un nouvel officier anglais, déclare « un pédé de plus ». Il semble vouloir dire par là un nouveau profanateur du bushido.


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